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21
Jan-2017

Sur un air de marinera, Trujillo [Pérou]

Ambiances   /   Tags:

Chaque année a lieu à Trujillo un festival de marinera, une danse traditionnelle à la rythmique et à l’esthétique proche du fandango espagnol, qui occupe une place importante dans le folklore national. Au Pérou, la marinera est brandie comme un emblème. À Trujillo, elle est plus que cela : elle est fierté, passion, feu follet.

À notre arrivée, le festival commence à peine. L’effervescence est palpable. Marinera à la télévision, marinera dans la presse locale, marinera sur l’avenue Pizarro, l’artère commerciale du centre-ville de Trujillo. Le dimanche soir, sur la Plaza de Armas, un groupe de jeunes danseurs anime à la lueur des réverbères une démonstration.

Les longues jupes blanches virevoltent au-dessus des pavés, les dernier rayons de soleil teintent d’orangé les mouchoirs agités à bouts de bras. Autour, la foule a grossi. Les enfants juchés sur les épaules des papas tapent des mains pour accompagner dans un beau désordre rythmique les chorégraphies. Les vieux esquissent quelques pas, les têtes suivent le souffle de la fanfare, il y a dans cette musique cuivrée comme un sautillement, une légèreté, un tempo qu’on ne retrouve pas dans nos fanfares.

La marinera est un jeu de séduction espiègle et sensuel, où tout n’est que reins cambrés, contorsions de poignets, approches audacieuses, volte-face renfrognées et réconciliations souriantes. Et vas-y que tu m’attires, que je te repousse, que nos visages se frôlent, que ma main se pose sur ta hanche, je reviens vers toi, accepte que je te regarde encore, admire mon corps, soutiens mon regard, tu ne m’auras pas comme ça, et si je te laissais faire finalement, je t’aime.

Jamais les yeux ne se quittent. Un fil invisible semble les relier, même lorsque les bustes se redressent en un claquement orgueilleux ou que le couple vire dans un ample demi-cercle. Les chaussures noires des hommes glissent et sautillent à la fois, on ne distingue plus vraiment. Le regard s’accroche parfois un peu trop longtemps sur les pieds nus des danseuses, c’est comme ça que se danse la marinera trujillana, la peau à même le pavé, corne aux pieds, le contraste est si beau entre les coiffes piquées de fleurs roses, les larges jupons blancs et les dessous de ces pieds si fins, si agiles et si sales. L’élégance et la crasse réunies dans un même ballet.

Plus tard dans la semaine, c’est à un autre type de séduction que nous avons eu le droit d’assister. Un peu au culot, un peu moyennant un billet, on pénètre dans le Club Libertad, institution de la marinera trujillana. Il n’est plus question ici de danse populaire, de foule bigarrée et de mélange des classes. Le Club Libertad possède ses codes et ses privilèges. Ce soir sera couronnée la reine de la marinera, la danseuse qui deviendra, jusqu’au lancement de la prochaine édition, l’image-même de la marinera à Trujillo et au-delà. Le moment est solennel et a rassemblé du beau monde. On a revêtu ses plus belles chemises, on s’interpelle, on se tombe dans les bras. Les femmes se sont trop maquillées, jeunes et moins jeunes rivalisent de dos-nus et de frous-frous, bombent le torse et les lèvres, vacillent sur leurs talons trop hauts. L’ambiance est chic et vulgaire, étonnant mélange dont on se fait spectacle jusque tard dans la soirée.

La reine est couronnée, les robes kitsch sont déjà rangées et ne ressortiront certainement qu’au prochain mariage. Nous devons repartir. Nous savons que nous allons manquer la semaine des ensayos où enfants, adolescents et adultes s’entraînent à maîtriser les mouvements d’une danse précise et exigeante. Nous ne verrons pas non plus et surtout le Concurso Nacional de Marinera, la raison d’être du festival. Dans un Coliseo Gran Chimu bondé, des dizaines de couples tourneront encore et encore, rejoueront cette parade amoureuse codifiée à l’extrême, cette fois-ci devant des jurés. Les lauréats auront l’honneur d’entrer un peu plus dans la légende de la marinera et de ses idoles aux mouchoirs blancs.

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