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26
Jan-2017

Cajamarca, l’Eldorado sans fin [Pérou]

Histoires   /   Tags:

Mine de rien, la question de l’or au Pérou ne vit pas que dans les pages des chroniques espagnoles des XVIe et XVIIe siècles. À Cajamarca, l’or déroule son fil(on) depuis plusieurs poignées de siècles, de l’époque pré-inca à nos jours .

Comme souvent en Amérique du Sud, les passions et les tensions se lisent sur les murs. Ceux de Cajamarca laissent voir, à quelques coins de rue, des « Agua si, mina no » (« L’eau oui, la mine non ») ou des « Conga no va » (« Non à Conga »). Des slogans écrits à la va-vite sur des murs crème ou ocre qui représentent moins un acte de vandalisme gratuit que les inquiétudes d’une population consciente des risques entraînés par les projets miniers qui, littéralement, l’encerclent, là-haut dans les collines coiffées de nuages surplombant la ville.

Cajamarca s’enorgueillit de sa production laitière et de ses fromages « à la suisse ». Il se trouve que ses campagnes sont criblées, comme un gruyère, de puits de mines. Quand on creuse un peu, justement, on comprend vite que l’exploitation des ressources naturelles du coin n’est pas, comme souvent, le fait d’initiatives locales. Elle a été impulsée par de gigantesques groupes étrangers. L’une des mines les plus importantes est celle de Yanacocha, détenue pour une part majoritaire par l’américaine Newmont Mining Corporation et pour une moindre part par une compagnie péruvienne (la Banque Mondiale détenant les 5% restants). Yanacocha, c’est l’exploitation à grande échelle, la plus grande mine d’Amérique du Sud, plus de 7 milliards de dollars de revenus au compteur. Un pactole qui pose de nombreuses questions économiques, sociales et environnementales, dont le poids a fait lever les populations de Cajamarca et de ses environs.

Oubliez les images des pionniers passant sans relâche leurs tamis dans le flot vigoureux d’un torrent dégringolant les pentes de la cordillère. Ici, l’or ne se trouve plus sous forme de pépites. Il est là, ici aussi, et partout à la fois. L’or de Cajamarca est volatile, minuscules particules qu’il faut traquer et immobiliser. Pour ce faire, on emploie les grands moyens : du forage à pleine puissance, de la fragmentation explosive, puis un lessivage à grands renforts d’eau… et de cyanure. Cette solution d’eau cyanurée est la seule capable de capter cette poussière d’or tant convoitée.

Du cyanure, du mercure aussi, de l’eau, des explorations souterraines : tous les ingrédients d’une contamination environnementale brutale et aux effets de long terme. Du poison directement injecté en intraveineuse dans le sol et les sources, les torrents, les rivières. On comprend mieux les slogans « Agua si, mina no« , qui font également référence à la volonté d’un autre projet minier d’aller puiser l’eau des lagunes d’altitude. On mesure aussi l’urgence ressentie par les habitants, en 2012, de descendre dans la rue pour défendre leurs intérêts et leur environnement face au nouveau projet « Conga ». Un souffle protestataire loin d’être vain puisque de nombreux projets restent aujourd’hui paralysés, faute de garanties suffisantes en matière environnementale. Des manifestations se dressent parfois encore pour porter la voix des populations de cette partie de la cordillère.

La quête d’or ne creuse pas seulement les cerros. Elle creuse les inégalités sociales, elle contraste, compartimente, exclut. L’exploitation minière a créé des emplois, le fait est semble-t-il indéniable. Mais contrairement à ce qu’on aurait pu penser ou espérer, cette manne ne profite pas aux habitants les plus pauvres de la région. De l’avis de Marcellino, le soixantenaire qui a répondu à nos questions sur le sujet des mines, les grands gagnants sont sans surprise les emplois qualifiés. Alors que ces projets, même contestés, auraient pu permettre de faire lever la tête à toute une région, l’installation des grands groupes miniers ne s’est pas accompagnée de projets sociaux ou de cursus de formation aux métiers de l’extraction minière. Les gouvernements locaux sont soupçonnés de corruption, les poches ouvertes aux liasses des compagnies minières, sans réellement se préoccuper des bénéfices sociaux de long terme. Les gains dépassent les enjeux locaux, les ficelles tirées sont mondialisées, la terre se vend comme un produit qu’on use jusqu’à la corde.

Source : www.buscadoresdetesoros.net

L’ironie de l’histoire, c’est que le passé de Cajamarca est tissé d’or. Il faut cette fois-ci se replonger dans les chroniques de la Conquista pour se souvenir des yeux fiévreux des Espagnols à la vue des éclats dorés qui cerclaient les bijoux, faisaient scintiller les façades et animaient les statues. Lorsque Pizarro pénètre en 1532 à Cajamarca et qu’il fait prisonnier Atahualpa, l’empereur inca, ce dernier tente de sauver sa peau en promettant aux nouveaux arrivants de remplir une pièce entière d’or. Le lieu, El Cuarto del Rescate, se visite encore.

À notre question pleine de naïveté sur l’état de l’exploitation minière à l’arrivée des Espagnols, Marcellino nous a répondu ceci : « Avant même la domination inca, les communautés locales avaient compris comment exploiter les collines des environs et les Incas avaient su les écouter pour en tirer profit. Les Espagnols auraient pu profiter de ces techniques anciennes, respectueuses de la nature. Mais ils ont tué tous ceux qui en détenaient les secrets…« .

Morale de l’Histoire : tout ce qui brille n’est pas d’or.

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