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15
Fév-2017

Edy et Francisco [Equateur]

Portraits   /   Tags:

Dans le contre-jour de la plage de Puerto López, ils ont d’abord été des ombres. Sortis de nulle part, ils se sont dirigés vers l’embarcation à peine arrivée et ont commencé à faire leur travail : décharger. Edy et Francisco sont porteurs. Tous les jours ou presque, leur mission consiste à vider les barques pleines des maquereaux pris dans les filets au large.

Lorsqu’elles débarquent sur la plage, les caisses sont déjà empilées au fond des bateaux. Il suffit alors de les emmener une par une de l’autre côté, là où stationnent les camions. Quand on a demandé au patron de l’embarcation d’où venaient ces pêcheurs qui couraient sur la plage avec leurs caisses sur les épaules, l’homme a répondu : « Eux ? Ce ne sont pas des pêcheurs, ce sont seulement des porteurs« . Dans ce seulement dormait une hiérarchie ordinaire entre ceux qui puent et suent le poisson, et ceux qui les regardent sur la plage, les mains sur le ventre, l’oreille collée au téléphone, en leur demandant d’aller plus vite ou de faire attention (voir et lire l’ambiance sur le port de pêche de Puerto López).

Pour un chargement, on compte quatre à cinq porteurs, parfois six. Edy et Francisco ne sont pas les seuls à souffrir, ce jeudi ils partagent leur labeur avec quatre gars, deux autres de type indigena, dont un bien plus vieux, et deux Afro-équatoriens. Les cent mètres qu’il faut parcourir, ils les dévalent au pas de course, avec de petits pas pressés et un étroit panneau de caoutchouc souple posé sur l’épaule pour éviter que les caisses ne les blessent. On n’a pas cherché à compter le nombre d’aller-retours de chacun, ni tenté d’estimer le poids approximatif de chaque caisse. Tout ce que l’on pouvait observer, c’était des épaules pliées sous le poids des maquereaux et des visages toujours plus marqués à chaque passage. Les porteurs ne cherchent même pas à lutter contre les agressions des oiseaux marins affamés. Ils ont la tête penchée, les mollets tendus et le regard fixé vers le bout de la plage. Une fois les poissons basculés dans d’autres caisses, ils ne s’en occupent plus, un préposé au rangement des caisses vides le fera à leur place.

Au bout d’une quarantaine de minutes, le petit groupe rejoint un abri sous bâche au fond de la plage, un peu en retrait des camions et du patron. C’est le temps de la pause et des bouteilles d’eau qu’on s’échange par petites gorgées. Les t-shirts et les maillots de foot sont tombés, les bustes brillent de sueur, on regarde au loin, ou dans le vide plutôt. Le plus vieux, sans même un regard, nous fait comprendre qu’il ne veut pas faire de photo. D’un signe bref de la tête, il désigne ses camarades de portée derrière lui : « Eux, ils voudront peut-être« . Les deux Afro-équatoriens s’éclipsent par pudeur (ou agacement) d’un pas sur le côté, les autres ne comprennent pas pourquoi on veut les prendre en photo. Edy et Francisco finissent par poser un peu, les yeux encore brillants de l’effort consenti sous le soleil. Au moment où l’on s’apprêtait à les interroger sur leurs âges, leurs origines ou leur métier, un cri les rappelle sur la plage. Une autre cargaison les attend. Nous ne saurons jamais qui sont vraiment Edy et Francisco, nous avons juste eu le temps d’avoir deux prénoms. Edy et Francisco sont porteurs à Puerto López. Leur pause aura duré deux minutes. Pas même le temps de sécher leur sueur.

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