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19
Fév-2017

Lenín presidente ? Un pays suspendu au verdict des urnes [Equateur]

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Cette année, les Français n’ont pas le monopole des élections présidentielles. Les Équatoriens ont eux aussi été appelés aux urnes le dimanche 19 février. « Appelés » n’est pas vraiment le terme qui convient. « Convoqués » serait plus adapté. Ici, aller voter est une obligation légale, quiconque déroge à la règle est susceptible de voir certains de ses droits fondamentaux disparaître, comme celui de sortir du territoire par exemple. De quoi motiver les foules…

En Équateur, le bulletin de vote a beaucoup à dire. Il désigne non seulement le Président, mais aussi le Vice-Président et les asembleistas, l’équivalent de nos députés. Contrairement à la situation politique française, cette élection ne laissait (a priori) que peu de suspense quant à l’issue du scrutin : Alianza País, le parti au pouvoir depuis 2008 sous la houlette du charismatique président Rafael Correa, était en tête de tous les sondages et avait déjà annoncé une large victoire dès le premier tour avant même que les électeurs ne se déplacent.

Le successeur désigné par Correa, qui a choisi de ne pas convoiter un troisième mandat, s’appelle Lenín Moreno. Réputé moins autoritaire que Correa, l’homme a visiblement de nombreux fans dans le pays. Lenín n’est pas un candidat comme les autres. Paraplégique, il se déplace en fauteuil roulant, ce qui ne l’a pas empêché de parcourir le pays suivi d’une caravane digne du Tour de France, distribuant casquettes, badges, stickers et T-shirt vert fluo à la foule, au rythme de l’excellente chanson de reggaeton campagne Lenín Presidente !

À Cuenca, au sud du pays, la manifestation à laquelle nous nous sommes mêlés nous a montré la puissance financière et marketing de l’appareil de campagne d’Alianza País, mais aussi la confiance inébranlable animant ses militants. La foule est compacte, bruyante, disciplinée, entraînée, on croise des profils de cadres, des jeunes, des retraités bien tassés, quelques paysans et des cholas, ces femmes indigènes originaires de Cuenca, coquettes dans leurs robes colorées et leurs petits panamas. Les parents ont emmené leurs enfants, on tend les bras pour saisir les t-shirts jetés à la volée, on applaudit les candidats asembleistas juchés sur leurs camionnettes à impériale, on chante El Pueblo unido jamás será vencido. La victoire semble à portée de main, le cortège relève plus de la démonstration de force que de la manifestation de soutien.

Le principal opposant de Lenín s’appelle Lasso. L’homme d’affaires grisonnant est candidat pour le mouvement de droite CREO, qu’il a lui-même fondé. Nous ne sommes pas tombés sur une manifestation pro-Lasso mais le principe d’équité électorale nous oblige à diffuser ici sa chanson de campagne Vamos por el cambio

Au cours du voyage, plusieurs personnes se sont laissées aller à des confidences sur leurs préférences politiques. Le parti de Correa bénéficie d’une large base électorale, acquise à sa cause et convaincue par un bilan économique et social positif, mais il est loin de faire l’unanimité. Clairement positionné sur l’aile droite libérale, Lasso est, pour le résumer de manière sommaire, le candidat anti-Correa des classes moyennes supérieures, des familles dont la situation économique est confortable, voire carrément aisée. Quand on a de quoi rouler en voiture individuelle, prendre des vacances et payer des études à ses enfants, Lasso est la solution idéale, celle qui fera baisser les impôts (« trop lourds » depuis l’arrivée de Correa, qui a réintroduit le principe d’une imposition pour financer une partie des dépenses publiques), l’assistanat (« scandaleusement favorable à des délinquants et des fainéants« ), le clientélisme et la corruption (« présente à tous les échelons, des leaders politiques aux commissariats de police« ). Bon nombre de discours entendus sur la route sont sans nuances, gonflés d’une aversion profonde pour le personnage Correa et d’une allergie à tout ce qui se présente comme une révolution sociale et citoyenne.

Un peu plus au nord, à Riobamba, ce sont les partisans de la candidate Cynthia qui tentent (difficilement) de soulever les masses. Cynthia Viteri, avocate et journaliste, représente le Parti Social Chrétien. En bonne mère de famille, cette excellente oratrice a fait de l’emploi, du redressement économique du pays et de la lutte contre la corruption ses priorités. Derrière Lenín et Lasso, elle est en troisième position dans les sondages. À Riobamba, la foule est moins compacte qu’à Cuenca, le cortège plus clairsemé, l’enthousiasme presque trop joué. Quelques drapeaux flottent, les voitures se suivent dans le désordre. Soudain, on entend un cri sur l’avenue. Perché sur un balcon en surplomb du cortège, un partisan de Correa brandit un panneau en l’honneur d’Alianza País et hurle son soutien. En réponse, les militants du PSC lancent des ladrones ladrones ! (voleurs, voleurs !) à l’illuminé solitaire. Ambiance.

Cinq autres candidats moins importants n’ont malheureusement pas eu la chance de croiser ni notre objectif, ni notre enregisteur… Mais en ce 19 février, il est déjà temps de voter. À Puerto López, la foule endimanchée se presse dans les différents bureaux de vote de la ville. Devant une école ouverte pour l’occasion, les vendeurs de brochettes et de glaces font des affaires tandis que les votants tendent fièrement leur carte d’électeurs avec photo et code barre, la nouveauté de l’année. Presque aussi nombreux que les marchands ambulants, les policiers veillent, impassibles dans leurs gilets jaune fluo, un fourgon de la police nationale est garé devant l’entrée. Le flux des votants passe sous le regard vigilant des membres du CNE, le Conseil National Électoral. Impossible de parler de cette journée de vote sans évoquer la ley seca (loi sèche), qui interdit la vente et la consommation d’alcool 36h avant et 12h après les élections présidentielles, histoire de s’assurer que personne ne glisse son bulletin avec un petit coup dans l’aile. Les contrevenants à la ley seca ont payé cher leurs coudes levés, jusqu’à la moitié du salaire minimum en Équateur, soit près de 180 dollars.

Alors que les premiers résultats tombent vers 20h, la victoire d’Alianza País n’apparaît déjà plus comme une évidence. Pour l’emporter au premier tour, Lenín doit rassembler plus de 50 % des votes ou seulement 40 % mais avec plus de 10 points d’écart avec le candidat arrivé en deuxième position. Lenín flirte avec les 40 % toute la soirée sans jamais les atteindre. Les autorités annoncent un recomptage des voix dans les bureaux à enjeux. La tension est palpable, les conversations crispées, on craint une fraude massive orchestrée par le parti officiel pour grapiller les quelques points manquants. Les résultats finaux ne seront pas connus ce soir, ni le lendemain.

Trois jours plus tard, à Canoa, c’est un cri anonyme qui nous apprendra l’issue du recomptage. A travers un mur, on entend une voisine hurler « Segunda vuelta ! Segunda vuelta ! » (« Second tour ! Second tour !« ). Lenín Moreno : 39,36 %, Guillermo Lasso : 28,09 %, Cynthia Viteri : 16,32 %. Une déception pour les corréistes sûrs de leur bilan, un soulagement pour ses opposants, une bonne nouvelle pour la démocratie dans le pays. S’ouvre maintenant la pénible période des tractations, des alliances et des compromis(sions). Second tour le dimanche 2 avril !

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