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10
Jan-2017

Le Lugar de la Memoria ou la mémoire comme un miroir [Pérou]

Histoires   /   Tags:

Ce n’était pas prémédité mais ce carnet d’histoires s’ouvre par la grande Histoire, celle avec un grand H et le petit bout de notre lorgnette. Des histoires, nous allons en écouter au Pérou, mais en savoir plus sur l’Histoire des Péruviens nous a semblé essentiel pour comprendre ce que l’on nous racontera… ou les silences pudiques qui risquent d’accompagner nos questions au cours du voyage.

À Lima, la visite du LUM [Lugar de la Memoria ou Lieu de la Mémoire] ne devait être que de courtoisie. Elle nous a happés plus de deux heures. Dans cette immense proue de béton sans artifices, nue comme devrait l’être la vérité, posée face à l’océan Pacifique comme un symbole, le gouvernement péruvien a inauguré en 2015 un lieu de mémoire audacieux. Un lieu pour se souvenir de 30 ans d’une histoire barbouillée de sang et de violence. 30 ans d’assassinats, d’attentats, de disparitions, de vengeances et de dissimulations. 30 ans d’un jeu de cache-cache et de mort-aux-rats entre le Sentier Lumineux, le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru, l’État et l’armée.

Quand on pense Amérique Latine et guerre civile, on pense souvent Colombie ou Nicaragua. Quand on se souvient des disparitions et des silences d’État, on se tourne vers le Chili ou l’Argentine. Mais le Pérou a aussi payé son tribut à l’horreur. Des morts par dizaines de milliers, des disparitions non résolues, des fosses communes dont la grande majorité n’a pas été encore ouverte, des populations andines et paysannes massacrées.

Cette histoire est récente. Elle chevauche à peine deux générations, ouverte comme une plaie, à peine refermée au début des années 2000. Au Pérou, la souffrance est juste derrière, elle lèche l’arrière-train du pays comme les chiens boiteux le font avec les touristes dans les rues terreuses des villages isolés.

L’idée n’est pas de vous refaire l’histoire, de décrire l’enchaînement et le déchaînement des violences, de montrer du doigt telle ou telle bannière. Rien n’est tout blanc, ni tout noir, ni même tout rouge. Et de toute façon, nous en savons trop peu pour conclure.

On s’est seulement dit qu’il en fallait du courage et de la lucidité pour parler de ce que l’on voudrait taire. Et de faire de cette blessure encore vive un lieu public. Bien sûr, le gouvernement a sa vision, ses oeillères, ses raisons, ses coupables. Aujourd’hui encore, des morts restent anonymes, des erreurs judiciaires n’ont pas trouvé réparation et certains bâtons restent encore coincés dans les roues. Le Sentier Lumineux n’est lui-même pas tout à fait mort en 2017 : il survit dans des no man’s land de jungle aux côtés des narcotrafiquants.

Mais le Pérou a le mérite, avec le LUM, de jeter un regard par-dessus son épaule pour comprendre ce qui a mal tourné, honorer les disparus, mais aussi reconnaître la culpabilité de ses élites et de son armée. Tout ceci sans jamais donner l’impression de pardonner qui que ce soit.

Le LUM est davantage qu’un musée et peut-être même bien plus qu’un mémorial. Il nous a fait en tout cas entrer les deux pieds dans l’Histoire du Pérou. C’est bien la première fois qu’on voit avec une telle force à quel point c’est fragile, une mémoire collective.

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