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15
Fév-2017

Puerto López, port de pêche artisanale [Équateur]

Ambiances   /   Tags:

En longeant le malecón de Puerto López vers le sud, on rejoint le muelle de la ville, un embarcadère neuf, point de départ obligé pour les virées touristiques vers la Isla de la Plata, la fameuse « Galapagos des pauvres ». On pourrait filer droit sans jamais tourner la tête. Or le spectacle est à quelques mètres en contrebas du muelle, là où les pêcheurs ont fait de la plage un port à part entière, aussi bruissant que les grands docks internationaux – les grues en moins.

Ici, on pratique une pêche artisanale, portée par de petites embarcations en bois (mais à moteur) et une grande majorité des hommes de Puerto López. Pas de quais de déchargement, ni de conteneurs démesurés ou de grandes chambres réfrigérantes. Seules quelques lourdes barques colorées viennent planter leur nez au milieu de l’écume et du sable grisâtre, et balancent au rythme des vagues mourant sur la plage pendant que les porteurs s’activent pour vider leurs flancs de poissons encore frétillants.

C’est d’abord une nuée sombre et son bruit incessant qui attirent le regard. Au bord de l’eau et au milieu des bottes, des dizaines de pélicans et de frégates se livrent une bataille acharnée pour piquer la chair brillante des maquereaux. Certains semblent attendre, l’air faussement désintéressé, la chute improbable d’un poisson qui pourrait glisser entre les mailles des caisses. D’autres ont choisi une stratégie plus offensive : becs en avant, ils opèrent un vol rasant au plus près des cargaisons. On entend parfois les toc toc secs de leurs attaques sur le plastique jaune des caisses. Ça piaille, ça se fricote, ça vire et ça roule des yeux. Leurs grandes ailes frôlent les visages indifférents des porteurs et font de grandes ombres mouillées sur le sable.

Pendant que des hommes enfournent de la glace pilée dans le ventre des fourgons, le cul face au large, un patron de pêche pointe le doigt au-delà des falaises pour nous montrer les villes côtières vers lesquelles les maquereaux voyageront. Puerto López n’est qu’un port de modeste envergure, les grosses cargaisons partent vers des horizons plus industrialisés tandis que le reste est acheté par les restaurants de la ville ou pour la consommation personnelle des familles.

« En Équateur, on cherche seulement à se remplir les poches de dollars. On pêche sans jamais se soucier de ce que nous pêchons. Il n’y a aucun contrôle, personne ne respecte les règlementations !« . L’homme est dépité, convaincu que l’anarchie actuelle pénalise le pays, notamment par rapport au Pérou, qu’il décrit mieux équipé, plus discipliné et plus respectueux de ses ressources. Il nous parle des « accidents de pêche », ces requins et ces espadons qui reviennent du large, piégés par des filets qui ne les traquaient pas. On repense alors au requin récupéré la veille, un homme l’avait dépecé deux minutes après qu’il ait été basculé sur la plage, et d’un coup vif de machette, schlak, l’aileron avait sauté. On repense aussi à ces deux espadons, leurs fines lames mortes, mouillées par des filets de sang ruisselant dans le sable. Il y a des images qui resteront.

Depuis près d’une heure, des centaines de kilos de maquereaux sont passés devant nos yeux et sur les épaules des porteurs (lire le portrait d’Edy et Francisco). Les frégates ont fini par se lasser, les pélicans s’amusent à voler en ligne, la pointe des ailes au ras des vagues. Un autre bateau arrive, plus petit, et la même chorégraphie de caisses se répète. Le patron de pêche de la première cargaison a fini de donner ses ordres, le camion est plein, les caisses ont été empilées, vides, et forment un Tetris puant et luisant en train de sécher sous le soleil blanc.

Assis à l’arrière d’une camionnette ou sur les barques restées au sec, d’autres hommes attendent. Ils dépendent peut-être d’un autre patron, d’une autre barque, espèrent un signal, on ne sait pas, mais ils attendent et on ne les a finalement jamais vu s’animer. À côté d’eux, un marchand ambulant vend des glaces. Sur son vélo transformé en boutique, le store en toile affiche un « Dios bendiga este negocio » (Que Dieu bénisse ce commerce), presque une chapelle dans ce port qui n’en est pas un. De temps en temps, un pêcheur passe en léchouillant sa glace à la fraise ou à la coco.

En amont de la plage, sous des tôles, s’est monté un restaurant qui ne désemplit pas. Les femmes grillent les poissons ramenés par les hommes. On asperge de citron les bols de ceviche, on passe à la plancha des filets de poisson blanc, des crevettes, des calamars, des coquillages. Les pêcheurs viennent y manger après leur journée ou pendant une pause, on mange vite, on déconne, on négocie un peu. Parfois, des gringos s’aventurent à s’asseoir sur ses chaises en plastique rouge. À quelques mètres seulement du malecón touristique, le poisson y est meilleur, la bière plus fraîche et le menu moins gourmand en dollars.

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 goûts / Un commentaire
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  1. AnaIS /

    J’adore l’ambiance ! Vous avez dû vous régaler !

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