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29
Jan-2017

Sur la route des momies de la Laguna de los Condores [Pérou]

Ambiances   /   Tags:

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! Les trois chevaux viennent d’être sellés et quittent le village de Leymebamba. Après quelques mètres de bitume, le sentier monte raide et dresse ses premières pierres sous les sabots du convoi.

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! La litanie du guide, voix forte et souffle énergique, ne cesse d’aiguillonner les chevaux (lire le portrait de Sinecio). Le chemin a beau tracer sa course dans les sinuosités à flanc de montagne, la pente coupe le souffle des cavaliers et les pattes de leurs montures, ou bien est-ce l’inverse, on ne sait déjà plus. Premier de cordée, Vayo mène, le museau bas, le pas assuré. Maco suit, plus essoufflé, moins aguerri. En tant qu’arriero, Surco surveille les écarts et embrasse le cortège d’un regard calme.

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! Là-haut, les jambes serrées autour de nos compagnons, nous n’en menons pas large. « Agrippez-lui la crinière dans les montées, Don Vicente. Tenez-le fort !« . À chaque fois que le sentier se fait plus accidenté, les chevaux franchissent les obstacles d’un pas obstiné, le cou tendu, les cuisses tétanisées, dans des sursauts musclés entraînant cavaliers et équipages (eau, vêtements de rechange et nourriture pour trois jours), protégés sous plusieurs couches de bâches et de couvertures.

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! Premiers dérapages des fers sur les roches plates et glissantes. Le cheval de devant s’affaisse, les muscles de la croupe se bandent pour éviter la chute, le voilà qui se redresse et poursuit l’ascension. Clac clac clac. La musique des sabots joue un air peu rassurant sous la pluie froide et persistante qui a commencé à mouiller les ponchos. On monte toujours, les chevaux avalent un dénivelé impressionnant.

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! Plus loin, c’est la boue qui freine la progression. On croit que la terre est ferme sous l’eau en surface, mais les sabots s’enfoncent jusqu’aux jarrets, schlurp schlurp, une patte, l’une après l’autre, schlurp schlurp, les gouttes de boue s’envolent au-dessus des étriers et s’écrasent sur les bottes.

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! Forêt de pierres sombres et longues touffes d’herbe jaunâtre. Ambiance lugubre, épaisse de tourbe, engluée dans une nuit qui n’en est pas une. Il n’est pas midi et de larges traits noirs barbouillent déjà le ciel. La lumière a disparu, la pluie n’a jamais vraiment cessé. Le chemin est devenu mille chemins, « A la derecha Señorita, a la izquierda Señorita, no a la derecha !« . Les chevaux zigzaguent dans une steppe, un páramo désert aux airs de fin du monde. Au loin, le plus haut point de notre voyage, un col à 3 600 m d’altitude, dont le sommet semble encore inaccessible. Les mains tremblent de froid au moment du déjeuner. Il nous reste trois heures.

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! Le col est derrière nous, nouvelle descente apeurée. Les sabots des chevaux se posent avec une délicatesse fébrile sur chaque pierre détrempée. Le paysage a changé. Forêt plus dense, arbres inconnus, bosquets de bambous, falaises touffues et abruptes tout autour. Le sentier n’est plus qu’un fin ruban boueux coupant la forêt en deux. Parfois, quand les descentes se font trop verticales, nous soulageons nos montures en marchant un peu. Les talons s’enfoncent, le poncho s’égoutte doucement le long des genoux et vient baigner le fond des bottes.

Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! Combien avons-nous traversé de vallées ? Combien de montées, combien de descentes ? Combien de capuches enlevées puis renfilées, de coeurs serrés et de sabots trébuchants ? Les chevaux fument. Les squelettes frissonnent. Nous arrivons. Pied à terre. De nouveaux muscles ont poussé. Dans la tête, de nouveaux horizons, aussi. Feu bienfaiteur, sommeil sans fond.

Le lendemain, plus de « Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba !« . Il y aura la laguna et son eau noire et sans reflets, la jungle vers les hauteurs de la falaise que l’on apercevait si loin hier, des échelles en bois et des cordes usées, la boue toujours la boue, les douches improvisées sous des cascades glaciales, l’arrivée au mausolée chachapoya en équilibre sur la corniche. Il n’y a plus de momies, encore des crânes. On sentira quelque chose, une présence, on ne saura pas vraiment quoi, mais la magie opèrera. Il y aura aussi un déluge sur la laguna, une truite imprudente, ses convulsions au fond du bateau, le retour au refuge et les histoires autour du feu.

Et le surlendemain, plus de « Cho caballo, cho ! Urh ! Arriba ! » non plus. Les chevaux n’en auront plus besoin, ils sauront que nous rentrons et ils trotteront plus qu’ils ne marcheront. Il y aura de nouveau le col sous un vent méchant, la pluie qui fuit sous les bourrasques, le soleil qui perce, le corps qui s’habitue au mouvement des chevaux, le corps qui se balance, qui anticipe, qui oublie d’avoir mal, le corps qui prend même plaisir, et cette steppe glauque et mouillée deviendra une plaine de western rêvée, c’est fou comme on oublie, le vent dans les touffes de paja sifflera un air de liberté, et il y aura même du galop, du galop !

Et on rentrera, et le temps n’aura pas compté, et on se dira que s’il y a bien une chose à retenir de tout ça, c’est que les chevaux sont des héros.

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 goûts / Un commentaire
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  1. AnaIS /

    Haaa le fameux trek à cheval! Alors qui a pêché le plus ? marie je suis sûr! En tout cas j’adore les chaussettes qui sèchent à côté de la poêle où cuit le poisson!

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