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24
Jan-2017

De Cajamarca à Leymebamba [Pérou]

Ambiances   /   Tags:

Impossible de dormir. Levés à 5h du matin, nous nourrissions le secret espoir de nous rendormir dans le bus. Pourtant, depuis Cajamarca, on vire. Gauche, droite, gauche, droite. Les épingles à cheveux ballottent l’estomac et crispent le diaphragme. Ce n’est pas tant que le chauffeur fonce, c’est que les lignes droites n’ont aucun droit de cité dans cette cordillère nord, sans sommets effilés à des altitudes vertigineuses mais profondément creusée, modelée, feuilletée.

À travers nos lectures, nous savions que ce voyage en bus de 10h avait sa réputation. En Amérique du Sud, on entend autant parler de « routes de la mort » que de « Venise du Nord » en Europe. C’est dire toutes les réserves que nous avions avant le départ. À Celendín, petite localité à deux heures de Cajamarca, nous changeons de bus. Du grand modèle, on passe à un gabarit plus petit. Sièges moins confortables, roues moins imposantes, centre de gravité plus bas. Ce simple remplacement de monture nous fait prendre conscience que là, oui, ça risque de tourner, et pas qu’un peu.

Pourtant, de Celendín à Leymebamba, notre destination finale, ce n’est plus notre appareil digestif qui s’affole mais les deux orifices qui nous servent de yeux. On tourne, on balance, on suit sans discontinuer les arabesques que la cordillère dessine le long de la ligne pointillée jaune du bitume (bitume qui, entre parenthèses, est de fort bonne facture, inutile de survendre une aventure routière assez éprouvante pour ne pas en rajouter). À chaque virage, à chaque changement de bord, le regard porte loin, court sur les pentes abruptes, effleure les arêtes, saute de crête en crête, pointe une maison perchée dans les hauteurs, surprend un berger assis sur un rocher, ses moutons ou ses vaches à portée de voix.

Des draperies. Voilà le mot qui décrit peut-être le mieux l’impact visuel produit par ces plis de cordillère. D’immenses draperies irréelles qui habillent les versants, s’affalent sur les ravins et viennent mouiller leurs liserés dans les fonds des vallées. C’est du cinéma panoramique porté sur l’écran tiré par les fenêtres du bus, du grand angle sur un horizon infini, de l’immersion à échelle de la tectonique. Et le nez collé sur la vitre, on ne pense à rien d’autre qu’à la route et aux montagnes qui lui ont autorisé un passage. L’absence de glissière de sécurité et l’impression de survoler le vide dans certains virages deviennent de simples anecdotes.

En une journée, nous avons vu défiler des pâturages aux accents alpins, des bosquets humides, des eucalyptus, puis soudainement des ravins secs piqués de cactus longilignes à l’apparence presque laineuse.

Il y a des frontières sans murs et sans administration tâtillonne : après plusieurs heures de voyage, le bus a dévalé un énième cordon de vallée pour débouler sur les rives du Río Marañon. Cette rivière boueuse au débit tumultueux apparaît comme un mirage amazone, un géant hydraulique qui annonce la jungle. Elle n’est en réalité qu’un affluent, un ruban long de plus de 1500 km qui grossira plus loin, en contrebas, le vrai fleuve Amazone, celui des légendes et des terres encore vierges. Pourtant, le Marañon est, pour nous, davantage qu’un simple rio. Il marque une frontière puisque nous savons qu’après son passage, nous quitterons le versant occidental des Andes pour commencer à descendre son versant oriental, celui qui file vers la selva.

D’ailleurs, le paysage change dès que nous passons sur la rive d’en face. Ambiance tropicale, forêts chargées de fruits (mangues, papayes, maracuyas et d’autres dont nous ignorons les noms), familles à la fraîche sur le perron des maisons tapies dans l’ombre des vergers, température devenue soudainement étouffante dans les allées du bus.

Plus loin, la nature change, une nouvelle fois. Nous remontons encore et encore, le long d’un col interminable et splendide, jusqu’à 3 600 m d’altitude d’où nous toisons le Río Marañon, plus de 3 km en contrebas, à la verticale. Puis une nouvelle descente, les condors tournoyant entre les nuages, les villages dispersés le long des sentiers striant le flanc de la vallée du Río Utcubamba, l’arrivée à Leymebamba. Nous ne sommes toujours pas dans la jungle, encore au-delà de l’horizon. Nous voilà seulement arrivés dans un drôle de biotope, une forêt d’altitude hésitant entre la sécheresse andine et la touffeur tropicale.

Le Pérou est immense, contrasté, spectaculaire. Seuls des trajets au souffle long permettent d’en prendre un peu la mesure. C’est pour cela qu’ici, définitivement, le chemin importe plus que la destination.

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